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Titel
Edmond Bille. Une biographie


Autor(en)
Wyder, Bernard
Erschienen
Genève 2008: Slatkine Reprints
Anzahl Seiten
263 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Cet ouvrage est d’abord un magnifique livre d’art: la qualité des quelque 500 reproductions en couleurs et en noir-blanc confirme la réputation d’excellence de l’éditeur dans ce domaine. Ce n’est pas à ce titre, cependant, que nous rendons compte ici du minutieux travail de Bernard Wyder. Sa solide biographie d’Edmond Bille, de facture très classique, suit un schéma chronologique. Bien étayé sur les documents et les témoignages, sachant rester critique (bien que parfois un peu sage), le texte se veut au service des oeuvres qu’il accompagne, commente, explicite. Sans aller toujours jusqu’au bout de la réflexion, l’auteur pose un certain nombre de problèmes liés à l’art et aux conditions politiques, sociales et économiques qui entourent la création. Du fait de l’évolution tant artistique que politique (au sens large) de Bille, ce livre offre un parcours intéressant à travers les écoles et tendances esthétiques de l’art suisse aux XIXe et XXe siècles, et leurs substrats idéologiques.

Né en 1878 dans le Val-de-Ruz (NE), Edmond Bille gardera toute sa vie des attaches avec le monde rural et agricole. Au cours de ses études d’art à Genève, il rencontre Edouard Vallet (1876–1929) et Ernest Biéler (1853–1948): on les retrouvera plus tard avec lui en Valais, au sein de la fameuse «école de Savièse». Celleci participe du phénomène européen des «écoles», en réalité souvent des groupes d’artistes liés à un lieu et à des affirmations esthétiques: ainsi Barbizon, Pont-Aven ou Skagen au Danemark. Comme pour ses confrères, le Valais a signifié pour Bille la révélation de la lumière. Il participera à la même idéalisation d’un Valais rural bucolique, encore peu touché par l’industrialisation, avec ses mazots, ses femmes en costume, ses mulets, et les rites religieux d’une société fortement marquée par le catholicisme. Cela alors même que le canton entame inexorablement une transformation (usines, canalisation du Rhône, etc.) dont l’école de Savièse constitue une sorte de déni. Même si les motifs et l’esthétique de l’Art Nouveau, alors à la mode, vont pénétrer son oeuvre dans les années vingt, Bille ne témoigne guère d’ouverture envers la véritable modernité, celle qui, avec le Fauvisme, le Cubisme, le Futurisme, l’Expressionnisme est en train de révolutionner, dès avant 1914, la création européenne. Il reste attaché à l’historicisme en architecture, au «genre noble» de la peinture historique, et à une forme de «suissitude», dans l’esprit de l’«école de Brienz» et d’Albert Anker. En témoignent ses nombreuses affiches pour des fêtes de gymnastique, le Tir fédéral, des étiquettes de vins, etc. Ces commandes, mais aussi son mariage avec un «bon parti», lui apportent notoriété, aisance matérielle (manoir à Sierre, grand chalet à Chandolin, chevaux, automobile…). Edmond Bille devient quasiment un peintre officiel, dont le statut socio-économique ne correspond guère au stéréotype de l’artiste maudit, désargenté et bohème. Le personnage lui-même n’est pas toujours des plus sympathiques: père peu présent, artiste assez jaloux de sa place dans le marché officiel, à la dent souvent dure envers ses concurrents.

La Grande Guerre, qu’il a découverte à travers la vision de soldats français internés, malades ou blessés, marque une rupture et une parenthèse dans son oeuvre. Elle secoue cet officier patriote assez traditionaliste. La guerre de 1914–18 lui inspire une série de dessins et gravures d’une très grande force, qui ne sont pas sans rappeler Alexandre Steinlen. Il y dénonce les horreurs du conflit, le militarisme, mais aussi, dans le raccourci saisissant de A ceux qui souffrent. Chair de peine, chair à canons, l’usine-caserne. Bille se lie d’amitié avec des milieux pacifistes, autour notamment de Romain Rolland. L’un des intérêts du livre de B. Wyder est d’ailleurs de mettre en évidence ces cercles et réseaux successifs auxquels l’artiste a appartenu. Avec Paul Budry, Charles Clément et Henri Roorda, il lance le bimensuel L’Arbalète, de tendance très socialisante. Et plus tard, en 1943, on le retrouvera sur la liste électorale de Karl Dellberg, le «lion de Sierre». Mais les positions idéologiques et politiques de Bille sont marquées par des revirements et des contradictions. Son pacifisme et son «socialisme» n’excluent pas sa fascination de peintre pour les drapeaux et les cuirasses, sa glorification des usines de Chippis en 1935, ou encore sa participation au renouveau de l’art catholique, notamment du vitrail, où il introduit des scènes et des personnages de la vie quotidienne, comme le fait aussi Charles Clément. Il prône enfin un «art pour le peuple» qui frise souvent l’imagerie nationaliste et qui n’est pas dénué d’ambiguïtés. Se rattachent en effet à ce concept fort vague tant les artistes réalistes américains commandités par le New Deal, le communiste Diego Rivera dans ses grandes fresques mexicaines, que l’art stalinien ou völkisch germanique du IIIe Reich …

Un peu occulté ces dernières décennies par celui de sa fille, l’écrivain Corinna Bille, le nom d’Edmond Bille, décédé en 1959, refait surface. Que restera-t-il de cette oeuvre abondante, sans doute inégale, souvent conventionnelle voire passéiste, mais marquée aussi par de remarquables réussites? Au-delà du plaisir de l’oeil auquel nous convie ce beau livre d’art, au-delà de l’intérêt purement esthétique que suscitent les réalisations de ce créateur, l’ouvrage de Bernard Wyder soulève une série de questionnements sur une société helvétique marquée par des changements et des tensions, et sur les mouvements artistiques qui les traduisent.

Citation:
Pierre Jeanneret: compte rendu de: Bernard Wyder: Edmond Bille. Une biographie. Genève, Slatkine, 2008. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 4, 2009, p. 463-465.

Redaktion
Veröffentlicht am
31.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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